Chers auditeurs de Radio Mercure,
La période estivale qui s’ouvre est généralement le lieu de grandes réjouissances entre amis, entre collègues et entre membres d’une même famille. Mais l’on découvre d’années en années que ce type de réjouissance s’estompe de plus en plus au profit d’une vie isolée derrière les écrans et au détriment d’une vie que ne rencontre plus, dans les médias, d’êtres humains en ligne. C’est sur ce thème que j’aimerais aborder le questionnement qui est le nôtre aujourd’hui, en ce mois de juillet, sur Radio Mercure.
Nous sommes maintenant face à une réalité où les banques n’ont plus de banquiers, les supermarchés se passent de caissiers, les paiements sont sans contact, les administrations sont robotisées, et les numéros de téléphone nous renvoient à des robots qui nous dirigent vers le web plutôt que de nous permettre de parler à une personne. Nous sommes entrés, presque sans nous en rendre compte, dans une ère d’isolement technologique où les machines dominent les interactions humaines, et où les algorithmes froids régissent nos échanges sociaux.
Avec une indifférence dictée par la logique du profit, nos sociétés modernes ont sacrifié ce qui constitue notre essence même : notre humanité, notre besoin de connexion, d’échange et de reconnaissance mutuelle. Ce n’est pas une simple question de commodité ou d’efficacité. Il s’agit d’une transformation radicale qui réduit l’homme à une simple valeur numérique, une donnée parmi d’autres, un simple vecteur informationnel quantifiable. Peut-on vraiment accepter un monde où le plaisir d’échanger quelques mots lors d’une transaction bancaire est relégué aux oubliettes? Où le contact humain avec un caissier est remplacé par le bip incessant d’une machine? Où les administrations, censées servir le public, se cachent derrière des murs d’automatisation, rendant toute plainte, tout besoin d’assistance, toute recherche de compréhension quasiment impossibles?
L’ironie est que ces avancées technologiques, censées nous faciliter la vie, nous poussent de plus en plus vers l’abîme de la solitude. Nous voici contraints d’évoluer dans des espaces de plus en plus impersonnels, où les écrans tactiles et les voix synthétiques dictent nos moindres mouvements.
J’entends déjà certaines voix proclamer que c’est le prix du progrès et que nous devons nous adapter à cette nouvelle réalité. Mais je vous pose la question : jusqu’où sommes-nous prêts à aller dans cette quête effrénée d’efficacité? Sommes-nous vraiment prêts à renoncer à ces moments de grâce, à ces échanges impromptus qui éclairent nos journées, à ces petites connexions humaines qui nous rappellent que nous ne sommes pas seuls?
Il est urgent de sonner l’alarme, de prendre conscience de l’ampleur de la déshumanisation à laquelle nous sommes confrontés. Nous devons nous interroger sur la direction que prend notre civilisation. Quel est le coût réel de cette course à l’automatisation? Peut-on vraiment mettre un prix sur l’humanité, sur la chaleur d’un échange sincère, sur la richesse d’une interaction authentique? Bien entendu, il ne s’agit pas de rejeter en bloc la technologie, mais de la replacer là où elle devrait être : au service de l’homme, et non l’inverse. L’automatisation a sa place, certes, mais elle ne doit pas empiéter sur ce territoire sacré qui est celui de la relation humaine.
En tant que société, en tant qu’êtres humains, nous avons le devoir de protéger et de préserver ce qui fait de nous des êtres uniques et irremplaçables : des êtres de relation et de langage. Il est grand temps de redéfinir nos priorités, de replacer l’humain au cœur de nos préoccupations, avant qu’il ne soit trop tard. Le réquisitoire est posé : choisirez-vous la froideur de la machine ou la chaleur inestimable de la présence humaine? C’est la question que la population doit soumettre urgemment au législateur. Bien que ma vision des choses soit pessimiste en cette matière et que je pense que les intérêts de l’industrie technologique l’emporteront une fois de plus sur les impératifs vitaux de la nature humaine, j’ose croire que la situation insupportable qui se dessine finira par faire bouger un peu les lignes. Si ce n’est pas le cas, nous devrons bientôt nous exclamer ainsi : « Ah, enfin, un être humain ! »
Philippe de Sternatz